Rituel, corps, performance

Sandrine Maisonneuve, danseuse et chorégraphe, pratique la composition instantanée et intègre le processus de pensée et d’écriture en temps réel à tous ses champs de recherche artistiques. Elle revient sur sa participation aux premières Rencontres Recherche et Création.

Pour quelles raisons avez-vous accepté de participer à ces premières Rencontres Recherche & Création ?

Tout d’abord, je tiens à remercier particulièrement Catherine Courtet, qui m’a invité à ces rencontres qui furent très riches et instructives ! Ma formation de danseuse contemporaine et mon parcours tissé de 22 ans d’expérience professionnelle, m’ont permis de croiser, et d’expérimenter différents univers artistiques, que ce soit en tant qu’interprète, chorégraphe ou pédagogue. Depuis 2005, je développe des travaux personnels, notamment autour de la composition Instantanée, forme d’écriture en temps réel. Nourrie à la fois de littérature, de philosophie, et de ce qui relève du domaine de la phénoménologie et de l’herméneutique ; je me suis toujours appuyée sur la relation Corps / Perception pour étudier d’une part le mouvement mais également la façon dont l’humain peut s’écrire, narrer, évoluer dans un contexte, et être producteur de contexte.

DSC00403© Anne Bouchard

Quand bien même la science et l’art se frottent sans arrêt, ces disciplines restent souvent distinctes, leurs acteurs dialoguant trop rarement au sein de pratiques communes. Pour autant, nous cherchons tous dans les limbes à faire parler l’invisible, à émettre des hypothèses, qui, en plus de permettre des découvertes, génèrent la création de nouveaux matériaux, utilisables. N’est ce pas le propre de l’expérimentation ?

J’ai vu dans la démarche de cette rencontre, le désir de réunir des acteurs autour de la création, de l’observation de la vie et de son mouvement, et cela grâce à la pluralité des points de vues. Un regard donc sur la vie. Un désir de ne pas scinder corps et cerveau, de déplacer le point de gravité de la connaissance, et d’être, scientifiques et artistes sujet d’exploration les uns pour les autres. Voilà ce qui m’a plu et convaincu.

Quelle place accordez-vous à une démarche que vous qualifieriez de scientifique dans votre pratique artistique ?

Je suis une chercheuse, qui à l’instar des scientifiques, expérimente, observe, émet des hypothèses, répertorie, et développe de nouveaux outils. Mes lectures, références et intuitions me donnent des pistes, mais c’est dans la pratique, dans le faire, que les choses se révèlent. Je me sens proche de certains pragmatiques, dont John Dewey, qui plantent ses recherches dans la pratique, et parle « d’expérience esthétique parachevée ».

En danse, si nous passons beaucoup de temps à explorer dans le « noir », à analyser ensuite, puis à conceptualiser , le geste premier est celui de placer l’intention au cœur de chaque mouvement. C’est cette direction du « tendre vers », et du « au travers de », qui permet au danseur d’avoir une trajectoire lisible dans le mouvement, donc d’effectuer un geste clair, et parlant.

C’est ainsi que nous pouvons avoir un retour précis, ou poétique de nos actions, et à partir duquel nous pouvons avancer, inventer, espérer, innover. Ce retour, c’est l’imaginaire du corps lui même.

Le corps pensant trouve des solutions et demande à ce que ses potentiels latents soient révélés.

Notre démarche de scientifique à l’intérieur de ce mouvement, est d’accueillir les données, d’en être les observateurs, de les porter à la surface, donc de les conscientiser. Cela a conduit les artistes danseurs a pratiquer de plus en plus les techniques somatiques. Développant leurs perceptions internes et externes, ils deviennent leur propre conducteur de savoir non encore révélé et acquiert de nouveaux outils pour appréhender différemment l’espace, le temps et l’environnement. A partir de cela, la danse trouve ses mots, son propre vocabulaire, et découvre sans doute des univers dit quantiques.

En effet, certains domaines de la science m’ont directement inspiré, notamment les recherches sur la plasticité, ainsi que la physique cantique.

J’explore directement, en performance le champ des neurones miroirs, en plaçant des groupes de personnes danseurs et non danseurs face à face, et qui au travers de discussions et d’actions, induisent du mouvement chez autrui. J’use à la fois de la connaissance, de l’érudition personnelle des participants mais également de tous les savoirs qui ne demandent qu’à être dévoilés. L’installation performative, me permet dans ce cas, la mise en œuvre d’un laboratoire, ainsi que la production d’actions nouvelles, l’émergence de sens et de poésie.

C’est cette démarche à la fois scientifique et artistique, qui me permet d’être dans la découverte permanente tout en appréhendant de nouvelles formes d’écritures poétiques.

Quelle peuvent être les bénéfices d’une collaboration entre artiste et chercheur ?

Artistes et scientifiques ont des intuitions, de l’humour et aiment rêver.

La façon dont chacun s’est présenté lors de ces rencontres en fut une belle démonstration. Un besoin de se mettre en scène également, car toute recherche mérite et a besoin d’être transmise.

Pour autant, il est parfois difficile de décloisonner les pratiques, de ne pas se replier sur sa propre recherche. Je pense un possible échange autour d’une œuvre à partir de laquelle chacun, scientifique ou artiste pourrait apporter un éclairage tout en évoquant sa démarche. Cela permettrait, peut-être, un déplacement quant à ses processus de recherche, à ses habitudes et fonctionnements de pensée.

J’ai songé à un temps de pratique artistique en commun. Un laboratoire précédant ces rencontres, permettant d’explorer ensemble autour d’une thématique commune.

Dans le cadre de son Année de la création, l’Alliance Athena tente d’identifier et de penser des points de rencontres inédits entre artistes et chercheurs. Comment, selon vous, dépasser le cadre conférentiel de ces rencontres ?

Peut-être quitterions-nous un temps l’espace « conférentiel » afin de vivre une expérience commune et dont des réflexions pouvant être dégagées seraient un point de départ possible pour un nouveau débat ?

Eprouvant, pour ma part , un très vif intérêt pour les sciences et avec le sentiment humble de beaucoup d’accointances avec les chercheurs, cette première rencontre si riche, donne, en plus d’inspirer, le désir fort de poursuivre ses échanges et de partager véritablement des expériences, afin de tisser des liens et nous enrichir ensemble.

Je ne saurai combien vous remercier pour cette si belle initiative mise en place cet été, et ne peux qu’espérer que l’aventure se poursuivra !

anatomia Publica 428

Tomeo Vergés/Anatomia publica © Axel Perez