Rencontre avec Catherine Courtet


Les 9 et 10 juillet derniers, le Festival d’Avignon a accueilli les premières Rencontres Recherche et Création, organisées par l’ANR dans le cadre de l’Année de la création. Rencontre avec Catherine Courtet, initiatrice de cette première édition.

Comment vous est venue l’idée de ces rencontres entre la recherche et la création ?

Création, culture, langues, systèmes symboliques ou fonctionnement de l’esprit humain sont autant de thèmes de recherche que l’ANR n’a cessé de soutenir depuis sa mise en place en 2005. En 2008, le département sciences humaines et sociales de l’ANR a lancé la première édition du programme « La création : processus, acteurs, objets, contexte », qui a permis une forte mobilisation de la communauté. Ce succès a conduit au lancement d’une 2eme édition en 2010. Ce thème répondait à la fois à une demande des chercheurs en sciences humaines et à un intérêt du ministère de la Culture et de la Communication qui souhaitait favoriser l’inscription des établissements d’enseignement sous sa tutelle dans la recherche académique, accompagner la mise en place du parcours LMD et contribuer à la connaissance des transformations de la création.

Les travaux conduits dans le cadre de ces programmes ont confirmé la richesse du potentiel de recherche et la diversité des thèmes abordés. Ils ont aussi fait apparaitre l’émergence de nouvelles configurations disciplinaires. Outre la forte mobilisation de disciplines traditionnellement présentes sur ces thématiques, telles que l’histoire de l’art, la musicologie, la littérature, les études théâtrales ou la sociologie, d’autres disciplines habituellement moins représentées comme le droit, la psychologie, les sciences cognitives ont montré leurs apports. De nouveaux objets de recherche ont été mis en évidence comme le processus de création et de conception des œuvres, le lien entre les formes artistiques et les conditions de production et de réception, la dimension cognitive de la perception et des émotions.

Dès son origine, le Festival d’Avignon a été un lieu de débat. En mettant en place les Ateliers de la pensée, la nouvelle équipe du Festival d’Avignon souhaitait renforcer le lien entre l’émotion et les savoirs, entre la recherche, la création et les publics. Pour l’ANR, co-organiser une manifestation scientifique avec le Festival permettait à la recherche d’être en contact direct avec les artistes et les acteurs culturels, sous l’attention des spectateurs.

Ces Rencontres sont aussi le fruit de l’intérêt des partenaires associés. Le ministère de la Culture et de la Communication, la Bibliothèque nationale de France, l’Adami, la Sacem, l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse étaient unis dans cette volonté de soutenir la recherche sur la création et le dialogue entre artistes et chercheurs. La mise en place de l’Année de la Création par l’Alliance Athena contribue au rayonnement de ce thème.

L’objectif de ces premières Rencontres était d’explorer le processus de création et de réception des œuvres et des spectacles. Êtes-vous satisfaite du dialogue qui s’est instauré entre les chercheurs et artistes du Festival ?

Il y avait une véritable curiosité, une attention réciproque entre les artistes et les chercheurs, un effet de résonance entre l’expérience des artistes et les travaux des chercheurs.

Dès les premières réflexions sur l’organisation de ces Rencontres, nous pensions que la participation des créateurs ne devait pas se limiter à un simple témoignage, mais leur permettre de faire retour sur leur expérience de la création et de la représentation. Il nous semblait aussi nécessaire de mettre en lumière le caractère « irréductible » des créations artistiques, leurs apports en termes d’intelligibilité du monde et des sociétés, de source de connaissance de soi, de réflexivité, de mémoire, d’invention des mondes, de production de sens….

En décrivant les sensations qui sous-tendent l’accélération d’un mouvement ou son extrême lenteur, sa répétition durant des heures, comme dans la pièce « Révolution » de Olivier Dubois, la danseuse Sandrine Maisonneuve a « donné corps » aux travaux de Georges Vigarello sur les transformations de la sensibilité dans l’histoire de l’occident depuis la période moderne, marquées par une place nouvelle des sensations internes du corps. Cette expérimentation du mouvement résonne aussi avec l’expérience du rituel, de la transe ou avec les travaux en neurosciences sur la représentation mentale du corps.

Comment s’est construite la programmation de ces Rencontres, le choix des artistes et chercheurs invités ?

La mise en place des deux éditions de l’appel à projets de l’ANR sur la création s’était appuyée sur une réflexion collective très pluridisciplinaire qui s’est prolongée lors des réunions ou des colloques de suivi des projets financés. Le thème « création » s’est avéré réellement fédérateur, entre domaines de recherche et entre disciplines, permettant un dialogue entre les spécialistes de la recherche en art, en littérature, en musique, en anthropologie, en épistémologie et en sciences cognitives ou neurosciences. La question de la perception et des émotions est aussi au cœur de nombreux travaux de recherche, en littérature, en histoire, en philosophie ou en sciences cognitives à travers le lien entre émotion et cognition. Autant de thèmes également abordés dans les projets financés dans le programme « Émotions, cognition, comportement » lancé en 2011 par l’ANR.

Ces différentes actions avaient créé un terreau favorable. Nous partions d’une réflexion commune. Un rapide état des grandes dynamiques scientifiques a été dressé avec les membres du comité scientifique composé notamment de chercheurs dont les projets ont été financés par l’ANR et de membres des comités d’évaluation. A partir des questionnements des différentes disciplines, nous avons suivi une démarche d’agrégation, de structuration progressive des thèmes.

Le détour par les danses initiatiques en République de Guinée ou par les pantomimes représentant les récits mythologiques dans les théâtres de l’empire romain, permet d’interroger le spectacle comme expérience sociale, comme moment singulier de « faire société ». Ce détour remet aussi en perspective la frontière entre « performance » et « théâtre ». Le spectacle vivant engage le corps des danseurs, des comédiens et aussi celui des spectateurs : attention, émotion, sensation ou perception sont activées par les gestes et par le récit. En mettant des mots sur les perceptions du corps, l’expression littéraire, les arts de la scène et les arts visuels contribuent à identifier des sensations nouvelles. Les approches en littérature, en histoire, en neurosciences concourent à l’analyse des formes de perception qui sont en jeu dans l’expérience artistique.

Le rôle du récit, de la fiction comme support permettant de faire l’expérience des émotions d’autrui ou de transmettre l’histoire des sociétés a été au centre de la 2ème journée. Le théâtre grec, contemporain ou celui de Shakespeare ont été autant d’exemples permettant d’explorer comment la fiction se saisit de l’actualité, questionne le politique et permet d’exercer la pensée. Plus largement, les lettres et les arts contribuent à la construction et à l’usage social des émotions, façonnant les communautés sociales ou politiques et participant à la subjectivation des individus.

Cette confrontation, ces allers et retours entre analyse du rituel et du spectacle, entre expérience des danseurs ou des comédiens et analyse en neurosciences, entre rôle du récit dans l’histoire des langues ou des sociétés et fiction nous permettaient d’explorer des questions très fondamentales, que les recherches actuelles ne cessent d’interroger dans une perspective nouvelle.

Le programme de ces rencontres est vraiment le fruit d’un dialogue avec l’équipe du Festival d’Avignon, notamment Paul Rondin, son directeur délégué. Les artistes ont été proposés par la direction du Festival en cohérence avec les sujets de recherche abordés

Savez-vous si les Rencontres ont suscité de nouvelles collaborations entre les chercheurs et artistes présents ?

Plusieurs parmi les chercheurs présents avaient déjà des collaborations avec des artistes. Line Cottegnies est l’auteure de la traduction de Henry VI de Shakespeare mis en scène par Thomas Joly et présentée lors de l’édition 2014 du Festival d’Avignon. Béatrice de Gelder travaille avec des chorégraphes comme Michèle Anne de Mey, sur mouvement et émotion. Nicolas Donin coopère étroitement avec les compositeurs pour dégager les processus de conception des œuvres musicales. Christian Biet nourri un dialogue permanent avec de nombreux acteurs, dramaturges et metteurs en scène de théâtre : l’analyse de textes inédits, par exemple des XVIIème ou XVIIIème siècles, est éclairée par leurs lectures et leurs mises en scène. Lors des Rencontres, Giorgio Barberio Corsetti a été très intéressé par les réflexions que conduit Sylvaine Guyot sur le lien entre l’usage social des émotions chez Racine et la philosophie morale ; Olivier Saccomano et Nathalie Garraud l’ont été par les travaux de Romain Bertrand sur le récit dans l’écriture de l’histoire.

Le public était au rendez-vous de cette première édition. Une seconde édition est-elle prévue ?

Spectateurs du festival, artistes, représentants d’institutions culturelles – directeurs de théâtre, agents d’artistes,…-, chercheurs de différentes disciplines, en sciences humaines ou en neurosciences, étudiants… la composition du public a reflété l’ambition initiale de ces Rencontres, auxquelles près de 400 personnes ont assisté. L’ANR et les différents partenaires réfléchissent actuellement à la possibilité de renouveler cette initiative en 2015. La création et la culture sont, en effet, à la fois un secteur de pointe de la recherche en sciences humaines et sociales, un enjeu stratégique de l’économie française et un élément essentiel du développement de notre société.

Catherine Courtet, Coordinatrice scientifique au Département Sciences Humaines et Sociales de l’ANR

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Rencontres Recherche et Création

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